"Au gouvernement, les écologistes se comportent comme des rentiers de leur propre cause"
[INTERVIEW] - Deux jours pour repartir du bon pied. À l’occasion de la deuxième conférence environnementale les 20 et 21 septembre, socialistes et Verts tentent de faire table rase d’une première année de collaboration au sein de l’exécutif en demi-teinte. Entre sorties intempestives et désaccords de fond, le PS a tout intérêt à ménager Europe Écologie-Les Verts (EELV) qui constitue une partie non négligeable de sa majorité.
À l’issue du discours d’ouverture de François Hollande, le secrétaire national d’EELV, Pascal Durand, s’est félicité "que la grande loi sur la transition énergétique soit votée avant fin 2014". Mais les écolos demandent une vraie feuille de route que le chef de l’État devra tenir sans tomber dans un matraquage fiscal qui pourrait, le cas échéant, se payer dans les urnes dès 2014.
Reste que les écologistes n’ont pas l’air des plus menançants aux yeux de l’exécutif. Pour preuve, ils semblent déjà se satisfaire du discours de François Hollande qui n’a pourtant rien annoncé de neuf si ce n’est la baisse de la TVA de 10 à 5 % sur les travaux d’isolation thermique. Le Vert Denis Baupin (vice-présient de l’Assemblée nationale) ou encore Cécile Duflot (ministre du logement) n’ont pas hésité à qualifié le discours du président de “signal ambitieux”, alors que les ONG, pour leur part, ont plutôt affiché leur déception.
Quelle est désormais la place d’EELV dans la vie politique française ? Que peut apporter la Conférence environnementale ? Éléments de réponse avec Thomas Guénolé, politologue et maître de conférence à Sciences-Po.
Anne-Diandra Louarn : Qu’est-ce que les écologistes attendent de la Conférence environnementale ? Quels sont les enjeux politiques et économiques ?
Thomas Guénolé : On peut distinguer trois grands enjeux :
> L'enjeu électoral pour la coalition socialiste-écologiste est de fidéliser sa clientèle écologiste qui attend des mesures vertes, sans pour autant perdre d'électeurs, ce qui suppose des mesures à l'impopularité limitée : d'où les atermoiements du gouvernement sur des taxes vertes et leurs contours.
> L'enjeu économique est de choisir entre une politique de compétitivité, focalisée sur les coûts de l'offre et donc hostile par essence à l'écologie, et une politique de transition écologique, sorte de relance par la transformation verte du pays appelée aussi "croissance verte" : sur ce point, le gouvernement a déjà fait un choix clair, en optant pour la compétitivité.
> L'enjeu systémique, enfin, est l'épuisement des ressources de la planète : pour mémoire, en supposant seulement 1 % de hausse annuelle de la productivité mondiale, il n'y aura plus de ressources sur Terre d'ici la fin du siècle.
ADL : Quel est le poids des écologistes aujourd’hui dans la vie politique française ? Leur influence est-elle grandissante ou est-ce plutôt le contraire ?
TG : L'influence des Verts dans la vie politique française est en déclin. Leurs deux objects sont d’obtenir un maximum de places de ministres et d'élus, mais aussi de conduire une politique écologiste.
D'un côté, ces deux buts convergent, puisqu'il faut avoir un maximum de places d'élus et de ministres pour peser dans le sens d'une politique écologiste. Mais de l'autre, ces deux objectifs entrent en contradiction, puisque pour avoir un maximum de places d'élus et de ministres, il faut régulièrement que les Verts mangent leur chapeau sur les grands enjeux écologistes de la politique gouvernementale. Cette situation explique la ligne "retenez-moi ou je fais un malheur" d'un Jean-Vincent Placé, par exemple : au bout du compte, les Verts finissent toujours par choisir de rester dans la coalition au pouvoir.
ADL : Si on compare François Hollande à son prédécesseur, peut-on dire qu’il est plus impliqué dans les questions écologiques ou moins que Nicolas Sarkozy, instigateur du Grenelle de l’Environnement ?
TG : Paradoxalement, François Hollande est pour l'heure un président moins écologiste que son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Qu'il s'agisse des réformes réussies ou tentées, du poids de l'écologie dans la répartition des pouvoirs ministériels, ou de la place de l'écologie dans les priorités politiques gouvernementales, la comparaison est peu flatteuse pour l'actuel chef de l'État. Cependant, en termes de bataille de l'image, la droite n'a pas su mettre en avant son bilan de politique écologique, de sorte que l'opinion publique a d'abord retenu le projet avorté de taxe carbone.
ADL : Quid de nos ministres de l’écologie ? Y en a-t-il un qui s’est démarqué ces dernières années ?
TG : L'écologie de gouvernement a connu une période faste dans la première moitié du mandat de Nicolas Sarkozy : il y avait alors convergence entre la priorité accordée à ce thème par le chef de l'État, la constitution d'un ministère poids-lourd consacré à l'écologie, et la désignation de Jean-Louis Borloo comme locomotive du dispositif. Cette séquence a, à ce jour, le bilan écologiste qualitatif et quantitatif le plus fort. Cependant, à mi-mandat de Nicolas Sarkozy, la seconde phase du Grenelle de l'environnement a été littéralement démembrée au Parlement, entre autres sous la pression de divers groupes d'intérêt et par choix délibéré de Nicolas Sarkozy préoccupé par l’arrivée de la crise. Il y a eu par ailleurs des maladresses qui ont beaucoup nui à l'image du bilan de cette séquence, par exemple la question du gaz de schiste.
ADL : Dans les pays que l’on perçoit traditionnellement comme des défenseurs de l’écologie -tel que le Canada ou l’Australie- on voit que les politiques menées depuis quelques mois voire quelques années régressent en matière d’écologie. La Canada se jette corps et âme dans l’exploitation du gaz de schiste et des sables bitumineux tandis que l’Australie vient d’élire un climato-sceptique à la tête du gouvernement. Où se situe la France d’après vous ? Est-elle en progression sur ce terrain ou en régression ?
TG : Aujourd'hui, la France régresse sur l'enjeu écologiste. Le grand ministère écologiste d'avant 2012 a été démantelé, le thème structurant de la transformation écologique de l'économie et des infrastructures a disparu des priorités du gouvernement, et la faction verte dans la coalition gouvernementale se comporte en rentière de sa propre cause : davantage de postes contre moins d'exigences écologistes auprès du parti dominant. Le récent ultimatum avorté est à cet égard caractéristique.
Propos recueillis par Anne-Diandra Louarn
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